Pourquoi attendre de se faire inviter pour essayer le restaurant le plus chic de Fairview ? J'avais envie de tester la nourriture de l'endroit, voir s'il méritait sa réputation, mais je n'avais personne pour y aller avec moi. Ce n'était pas le genre de Sophie, ma fille, elle avait mis cela au clair très rapidement. Alors j'allais devoir y aller par moi-même. Ce n'était pas si terrible que cela, au fond. J'avais donné un coup de téléphone à l'établissement en début de journée pour réserver une table et après avoir pris une bonne douche, j'avais enfilé une robe noire, assez simple, qui conviendrait tout à fait à l'endroit. Lorsque j'étais descendue au premier, Sophie écoutait la télévision, en pyjama. À y repenser, je me demandais même si elle l'avait enlevé durant la journée. J'avais des doutes. Mais bon, de toute façon, j'avais rendez-vous avec moi-même ! Je l'embrassai sur la tête et lui demandai de me promettre d'être sage, elle acquiesça en marmonnant, trop concentrée sur sa série télévisée. J'enfilai mes talons, prit mon manteau dans le placard, mon sac à main sur la table console et sortit à l'extérieur.

Seule à ma table, je venais de terminer le plat principal et j'avais l'impression que ma robe était devenue trop étroite. Je ne voulais pas penser que cela pouvait être mon ventre qui s'était étendu de la sorte. Le tout avait été succulent. Je ne savais même pas si j'aurais la force de prendre un dessert. Il était déjà tard, il ne restait plus beaucoup de clients dans l'établissement. Moi et un couple de personnes âgées, c'était tout ce que je pouvais voir. Je m'étais faite amie avec le serveur durant la soirée, qui revenait pour remplir ma coupe de vin. J'allais probablement devoir prendre un taxi ce soir, à la vitesse à laquelle je buvais. Mais tout était trop délicieux. « Complimentez le chef de ma part, c'était délicieux. » L'homme me fit un sourire, me promettant de passer le message alors qu'il me débarrassait de mon assiette. Il me laissa la carte des desserts, que je consultais en me demandant si j'allais m'accorder ce péché mignon. À quoi bon me battre contre moi-même, bien sûr que j'allais céder ! Je venais de faire mon choix lorsque j'aperçu une femme qui venait à ma rencontre. Je l'avais vu plus tôt remettre un serveur à sa place discrètement, j'avais compris que c'était elle qui gérait l'endroit. « Votre restaurant est merveilleux, dommage que je n'ai eu personne avec qui partager mon repas ! » lançais-je à la femme, lui désignant la place vide devant moi. Je pris une gorgée de vin, étant particulièrement de bonne humeur ce soir.

Ft. Elsie J. Anderson

Il faut toujours prendre un dessert.

2101, Orchid Street.

La soirée promettait d’être tranquille Chez Naomi et chacun préparait la soirée dans le calme. Seules les cuisines paraissaient peu à peu s’animer de frénésie. C’était sans doute la partie du travail la plus éreintante et qui demandait le plus de temps. Les cuisiniers étaient là depuis bien plus tôt que les serveurs et le chef paraissait toujours surmené. Une effervescence qui faisait finalement s’activer tout le monde, en cuisine comme en salle. Après avoir pris les quelques réservations de la soirée et vérifié la marchandise, Erika repartie dans son bureau en veillant à bien fermer la porte. Elle n’avait pas du tout envie d’entendre le chef vociférer après les commis et autres cuisiniers qui n’exécutaient pas suffisamment parfaitement ses ordres. Il était exigeant et peu de fois gentil mais son talent était tel que la gérante ne pensa pas une seconde à l’inviter à prendre la porte. Strict, dur et infernal mais talentueux. Cela compensait et même les cuisiniers terrifiés étaient fiers de travailler dans sa cuisine. Il n’y avait rien à redire. Un chef dur était sans doute un chef compétent. Cela étant Erika ne pensa jamais à durcir sa façon de travailler et de s’adresser aux serveurs et hôtesses d’accueil. Il n’y avait pas qu’une manière de procéder lorsque l’on était en quelque sorte le patron. Erika donnait simplement ses directives, agrémentant le tout d’un sourire, d’une blague et d’une formule de politesse et ne refusait jamais une conversation. Le chef était sec et ne faisait qu’aboyer. Elle refusait de telles pratiques. La plupart du temps, elle en venait même à participer à la tâche, prenant plaisir à côtoyer les autres. Sociable jusqu’au bout et surtout curieuse de tout. Une qualité autant qu’un défaut. Mais ce soir, c’était plutôt une qualité qui permettait d’appréhender cette soirée de travail avec calme et surtout avec bonne humeur.

Bien sûr, Erika n’était pas non plus laxiste et menait la barque. Elle conseillait et dirigeait ses gens. La soirée débutait alors. Couples, hommes et femmes en affaires, familles aisées. Il y avait un petit monde toujours présent. Des habitués comme des gens de passage. Au son répétitif des voix et conversations, la gérante se mit à imaginer un instant la vie de chacun. Imaginer, une chose agréable à faire et qui souvent, la faisait bien rire. Il y avait tant de possibilités. Le mieux dans tout cela était sans doute d’inventer leurs conversations, chose qui pouvait s’avérer hilarante lorsque le tout était accompagné de gestes de la part des clients. Bien sûr, Erika intériorisait et ne manquait pas de surveiller la salle en gérant l’arrivée des plats, des nouveaux clients et en appréhendant la moindre faute d’un serveur ou d’une serveuse. Elle vérifiait également la mise en valeur de la nourriture, notant telle ou telle réflexion à faire au chef ou telle ou telle félicitation à lui communiquer. Chaque plat était un délice et tout l’établissement en venait à craindre Le plat qui leur ferait défaut, la petite erreur qui amoindrirait la qualité du restaurant. Erika avait notamment à l’œil, une jeune femme seule. C’était chose peu commune Chez Naomi. Rares étaient les clients solitaires. Pour tout dire, la dernière fois que l’un d’eux était venu, il s’agissait d’un goûteur. Cela avait peu plu au chef mais il avait bien fallu s’en accommoder et finalement, la notation avait été plus positive que négative. Cette jeune personne-ci, qu’Erika identifia comme la quatorzième réservation au nom Anderson, ne paraissait pas du tout être venu pour tester quoique ce soit, si ce n’était ses papilles gustatives. La gérante s’étonnait tout de même de sa présence et après avoir remis à sa place le petit serveur, neveu du propriétaire, fit en sorte de s’occuper de la cliente. Peut-être pourrait-elle attiser sa soif de curiosité et connaître la raison de sa présence dans une telle solitude. C’était peu commun et la dame était plutôt une jolie femme et l’on pouvait aisément s’étonner du manque d’homme à ses côtés. Aussi, Erika s’approcha finalement, saisissant de quoi noter le dessert de la table Anderson. Un sourire et elle l’écouta commenter le fait d’être seule. Elle saisit l’occasion.

ERIKA ▬ « Je vous remercie, j’espère que tout se passe bien pour vous ? » Commencer par la politesse et les questions d’usage qui permettait de connaître la clientèle et savoir si le service savait la satisfaire. Ensuite la question. « Bien dommage en effet. C’est d’ailleurs étonnant que personne ne vous ait accompagné, vous aurait-on fait faux bond ? »

*va se pendre pour le retard qui devenait limite un oubli*

J'avais décidé de prendre le gâteau au chocolat. Il avait l'air succulent et juste à regarder l'image, j'avais la bouche pleine de salive. Pourtant, j'avais déjà le ventre rempli. Je ne savais pas où j’allais stocker tous ses calories, mais j'allais bien trouver un petit trou. Je ne partais pas de Chez Naomi sans avoir goûté à ce délice !

La gérante de l'établissement était maintenant à la hauteur de ma table et après avoir complimenté son restaurant, elle me demanda pourquoi j'étais seule. J'avais reçu quelques coups d'oeil de clients durant la soirée qui devaient se poser la même question. Mais j'avais eu tellement de plaisir à manger, même si j'étais seule, que cela ne m'avait pas du tout dérangé. « Pas du tout, j'avais envie d'essayer l'endroit, mais n'avais tout simplement personne pour venir m'accompagner. » En fait, ce n'était pas vrai. La seule personne à qui j'avais demandé était Sophie. J'aurais pu me trouver quelqu'un, j'en étais certaine, mais finalement, j'avais préféré essayer l'endroit solo. Comme cela, je pouvais me concentrer sur la nourriture dans mon assiette et non sur la vitesse à laquelle je mangeais, pouvant passer pour une gloutonne aux yeux de plusieurs. « J'en étais à mon dessert, si vous avez un petit creux, joignez-vous à moi. Cela me ferait plaisir ! » J'avais beau avoir passé la plupart du repas seule, je n'étais pas non plus contre un peu de social. C'était toujours intéressant de rencontrer des nouvelles personnes et j'étais certaine que la dame devant moi était de ces gens que l'on apprenait à connaître avec le temps, mais qui devenaient des personnes auxquelles l'on tenait énormément.

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